Introduction à la messe tridentine

Encyclique MEDIATOR DEI

de Sa Sainteté le Pape PIE XII

SUR LA SAINTE LITURGIE

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A nos vénérables frères les patriarches, primats, archevêques, évêques et autres ordinaires de lieux en paix et communion avec le siège apostolique

Vénérables frères, salut et bénédiction apostolique

INTRODUCTION

Jésus-Christ Rédempteur du monde

Médiateur entre Dieu et les hommes (I Tm II, 5), Grand Prêtre qui a pénétré les cieux, Jésus, Fils de Dieu (cf. He IV, 14), en entreprenant l’œuvre de miséricorde qui devait combler le genre humain de bienfaits surnaturels, eut certainement en vue de rétablir entre les hommes et leur Créateur l’ordre troublé par le péché et de ramener à son Père céleste, principe premier et fin dernière, l’infortunée descendance d’Adam, souillée par la faute originelle.

C’est pourquoi, durant son séjour sur la terre, non seulement il annonça le commencement de la Rédemption et l’inauguration du royaume de Dieu, mais il s’employa aussi à sauver les âmes par l’exercice continuel de la prière et du sacrifice, jusqu’au jour où, sur la croix, il s’offrit en victime sans tache à Dieu, pour purifier notre conscience des œuvres mortes, afin que nous servions le Dieu vivant (cf. He IX, 14). Par là, toute l’humanité, heureusement retirée du chemin qui la conduisait à la ruine et à la perdition, fut de nouveau orientée vers Dieu, afin que par la coopération de chacun à l’acquisition de sa propre sainteté, qui naît du sang immaculé de l’Agneau elle donnât à Dieu la gloire qui lui est due.

Le divin Rédempteur voulut ensuite que la vie sacerdotale, qu’il avait commencée dans son corps mortel par ses prières et son sacrifice, fût continuée sans interruption au cours des siècles dans son Corps mystique qui est l’Église. Il institua donc un sacerdoce visible pour offrir en tout lieu l’oblation pure (cf. Mal., I, 11), afin que tous les hommes, de l’Orient à l’Occident, délivrés du péché, servissent Dieu, par devoir de conscience, librement et spontanément.

L’Église continue la fonction sacerdotale de Jésus-Christ

L’Église, fidèle au mandat reçu de son fondateur, continue donc la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, principalement par la sainte liturgie. Elle le fait d’abord à l’autel, où le sacrifice de la croix est perpétuellement représenté (Cf. Conc. Trid., Sess. XXII, can. 1.) et renouvelé, la seule différence étant dans la manière de l’offrir (Ibid., can. 2.) ; ensuite par les sacrements qui sont pour les hommes les moyens spéciaux de participer à la vie surnaturelle ; enfin par le tribut quotidien de louange offert à Dieu, Souverain Bien. " Quel joyeux spectacle n’offre pas au ciel et à la terre l’Église en prière, dit Notre prédécesseur Pie XI, d’heureuse mémoire. Sans interruption, tout le jour et toute la nuit, se répète sur la terre la divine psalmodie des chants inspirés ; il n’est pas d’heure du jour qui ne soit sanctifiée de sa liturgie propre, il n’est pas de période de la vie qui n’ait sa place dans l’action de grâces, la louange, les demandes et la réparation de cette solennelle et commune prière du Corps mystique du Christ, qui est l’Église ". (Lettre encycl. Caritate Christi, du 3 mai 1932.)

Réveil des études liturgiques

Vous savez sans doute, Vénérables Frères, qu’à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, les études liturgiques furent poussées avec une singulière ardeur, par les louables efforts de particuliers, et grâce surtout à l’activité zélée et assidue de plusieurs monastères de l’Ordre illustre de saint Benoît ; il s’ensuivit, non seulement dans de nombreux pays d’Europe, mais même au-delà des mers, une noble et fructueuse émulation dont les résultats bienfaisants ne tardèrent pas à se faire sentir, soit dans le domaine des sciences religieuses où les rites liturgiques de l’Église d’Occident et de celle de l’Orient furent plus largement étudiés et connus, soit dans la vie spirituelle privée de nombreux chrétiens.

Les cérémonies sacrées de la messe ont été mieux connues, comprises, estimées ; la participation aux sacrements a été plus large et plus fréquente ; la beauté des prières liturgiques plus goûtée, et le culte de la sainte Eucharistie considéré, à juste titre, comme la source et l’origine de la vraie piété chrétienne. En outre, plus que par le passé, on a fait connaître aux fidèles qu’ils forment tous ensemble un seul corps, très étroitement uni, dont le Christ est la tête et que le peuple chrétien a le devoir de participer, à sa juste place, aux rites liturgiques.

Empressement du Saint-Siège pour le culte liturgique

Vous savez certainement que ce Siège apostolique a toujours apporté un soin diligent pour que le peuple confié à sa garde fût éduqué à un sens liturgique à la fois juste et actif, qu’avec un zèle non moins grand il s’est préoccupé de faire briller jusque dans l’extérieur des rites sacrés une dignité convenable. Parlant Nous-même, selon la coutume, aux prédicateurs de carême à Rome en 1943, Nous les avons instamment priés d’exhorter leurs auditeurs à prendre une part plus active au sacrifice de la messe ; récemment encore, Nous avons fait faire une nouvelle traduction latine du livre des psaumes sur le texte original, afin que les prières liturgiques dont il constitue dans l’Église catholique une part si importante fussent mieux comprises, leur vérité et leur saveur plus facilement perçues. (Cf. Lettre ap. Motu Proprio In cotidianis precibus, du 24 mars 1945.)

Bien que cet apostolat liturgique Nous apporte un grand réconfort à cause des fruits salutaires qui en proviennent, la conscience de Notre charge Nous impose pourtant de suivre avec attention ce renouveau tel qu’il est présenté par quelques-uns, et de veiller soigneusement à ce que les initiatives ne dépassent pas la juste mesure ni ne tombent dans de véritables excès.

Déficits des uns - Exagération des autres

Or si, d’une part, Nous constatons avec douleur que dans quelques pays le sens, la connaissance et le goût de la sainte liturgie sont parfois insuffisants et même presque inexistants, d’autre part Nous remarquons, non sans préoccupation et sans crainte, que certains sont trop avides de nouveauté et se fourvoient hors des chemins de la saine doctrine et de la prudence. Car, en voulant et en désirant renouveler la sainte liturgie, ils font souvent intervenir des principes qui, en théorie ou en pratique, compromettent cette sainte cause, et parfois même la souillent d’erreurs qui touchent à la foi catholique et à la doctrine ascétique.

La pureté de la foi et de la morale doit être la règle principale de cette science sacrée qu’il faut en tout point conformer aux plus sages enseignements de l’Église. C’est donc Notre devoir de louer et d’approuver tout ce qui est bien, de contenir ou de blâmer tout ce qui dérive du vrai et juste chemin.

Que les inertes et les tièdes ne croient pourtant pas avoir Notre approbation parce que Nous reprenons ceux qui se trompent ou que Nous refrénons les audacieux ; mais que les imprudents ne s’imaginent pas couverts de louanges du fait que Nous corrigeons les négligents et les paresseux.

Dans cette encyclique nous nous occupons surtout de la liturgie latine ; ce n’est pas que Nous nourrissions une moindre estime pour les vénérables liturgies de l’Église orientale, dont les rites, transmis par d’anciens et glorieux documents, Nous sont également très chers ; mais cela tient aux conditions particulières de l’Église d’Occident, qui semblent demander en cette matière l’intervention de Notre autorité.

Que tous les chrétiens écoutent donc avec docilité la voix du Père commun, dont le désir le plus ardent est que tous, intimement unis à lui, s’approchent de l’autel de Dieu, en professant la même foi, en obéissant à la même loi, en participant au même sacrifice, d’un même esprit et d’une même volonté. L’honneur dû à Dieu le réclame ; les besoins des temps actuels l’exigent. En effet, après une longue et cruelle guerre qui a divisé les peuples par ses discordes et ses carnages, les hommes de bonne volonté font de leur mieux pour les ramener tous à la concorde. Nous croyons pourtant qu’aucun projet et aucune initiative ne sont, en ce cas, aussi efficaces que le zèle énergique pour la religion et l’esprit vigoureux qui doivent animer et guider les chrétiens, de sorte que, acceptant sincèrement les mêmes vérités et obéissant de bon cœur aux légitimes pasteurs, dans l’exercice du culte rendu à Dieu, ils constituent une communauté fraternelle : " Puisque, tout en étant plusieurs, nous formons un seul corps, nous qui participons tous à un même pain " (I Cor X. 17).

I. LA LITURGIE, CULTE PUBLIC

Honorer Dieu : devoir des individus

Le devoir fondamental de l’homme est certainement celui d’orienter vers Dieu sa personne et sa vie. " Car c’est à lui que nous devons tout d’abord nous unir comme à notre principe indéfectible, à lui que doivent constamment s’adresser nos choix comme à notre fin dernière, c’est lui aussi que dans notre négligence nous perdons par le péché, et que nous devons retrouver en témoignant de notre foi et de notre fidélité " (S. Thomas, Summa Theol., IIa IIae, q. 81, a. 1.). Or l’homme se tourne normalement vers Dieu quand il en reconnaît la suprême majesté et le souverain magistère, quand il accepte avec soumission les vérités divinement révélées, quand il en observe religieusement les commandements, quand il fait converger vers lui toute son activité, bref quand il lui rend, par la vertu de religion, le culte et l’hommage dus à l’unique et vrai Dieu.

Devoir de la collectivité

C’est un devoir qui oblige en premier lieu les hommes pris en particulier, mais c’est aussi un devoir collectif de toute la communauté humaine basée sur des liens sociaux réciproques, parce qu’elle aussi dépend de l’autorité suprême de Dieu.

Il faut remarquer, en outre, que les hommes y sont tenus d’une manière spéciale, pour avoir été élevés par Dieu à l’ordre surnaturel.

C’est pourquoi nous voyons Dieu dans l’établissement de la loi ancienne, édicter aussi des préceptes rituels et préciser avec soin les règles que le peuple devait observer pour lui rendre un culte légitime. Il établit, en conséquence, divers sacrifices et fixa les diverses cérémonies pour les bien offrir ; il détermina clairement tout ce qui concernait l’arche d’Alliance, le temple et les jours de fête. Il constitua la tribu sacerdotale et le Grand Prêtre, il indiqua avec détail les vêtements dont se serviraient les ministres sacrés, et tout ce qui pourrait avoir quelque relation avec le culte divin (cf. Livre du Lévitique).

Ce culte, du reste, n’était qu’une ombre (cf. He X, 1) de celui que le Prêtre suprême du Nouveau Testament devait rendre au Père céleste.

Honneur rendu au Père par le Verbe incarné : sur la terre…

De fait à peine " Le Verbe s’est-il fait chair " (Jn, I, 14) qu’il se manifeste au monde dans sa fonction sacerdotale, en faisant au Père éternel un acte de soumission qui devait durer tout le temps de sa vie : " En entrant dans le monde il dit : voici que je viens… pour faire, ô Dieu, votre volonté " (Heb X. 5-7). Cet acte, il devait le porter à sa perfection d’une manière merveilleuse dans le sacrifice sanglant de la croix : " C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’oblation que Jésus-Christ a faite, une fois pour toutes, de son propre corps " (Ibid., X, 10). Toute son activité au milieu des hommes n’a pas d’autre but. Enfant, il est présenté au Seigneur dans le temple de Jérusalem ; adolescent, il s’y rend encore ; dans la suite il y retourne souvent pour instruire le peuple et pour prier. Avant d’inaugurer son ministère public, il jeûne durant quarante jours ; par la parole et par son exemple il nous exhorte tous à prier, soit de jour, soit de nuit. En tant que Maître de vérité, " il éclaire tout homme " (Jn, I, 9), afin que les mortels reconnaissent le vrai Dieu immortel et qu’ils ne soient pas " de ceux qui se retirent pour leur perte, mais de ceux qui gardent la foi pour sauver leur âme " (He X, 39). En tant que Pasteur, il dirige son troupeau, il le conduit aux pâturages vivifiants et lui donne une loi à observer, afin que personne ne s’écarte de lui et de la route droite tracée par lui, mais que tous vivent saintement sous son inspiration et sous sa conduite. A la dernière Cène, usant d’un rite et d’un apparat solennel, il célèbre la nouvelle Pâque et il en assure la continuation grâce à l’institution divine de l’Eucharistie ; le lendemain, élevé entre ciel et terre, il offre sa vie en sacrifice pour nous sauver, et de sa poitrine transpercée il fait en quelque sorte jaillir les sacrements, qui distribuent aux âmes les trésors de la Rédemption. Ce faisant, il n’a en vue que la gloire de son Père et la plus grande sainteté de l’homme.

… et dans la gloire

Entré ensuite dans le lieu de la béatitude céleste, il veut que le culte institué et rendu durant sa vie sur terre se continue sans interruption. Car il ne laisse pas orphelin le genre humain : il l’assiste toujours de sa continuelle et puissante protection, en se faisant notre avocat au ciel auprès du Père (cf. I Jn, II, 1) ; mais il l’aide aussi par son Église, dans laquelle il perpétue sa divine présence au cours des siècles, qu’il a établie la colonne de la vérité (cf. I. Tm III, 15) et la dispensatrice de sa grâce, et que par le sacrifice de la croix il fonda, consacra et affermit à jamais. (Cf. Boniface IX, Ab origine mundi, du 7 octobre 1391, Callixte III, Summus Pontifex, du 1er janvier 1456 ; Pie II, Triumphans Pastor, du 22 avril 1459 ; Innocent XI, Triumphans Pastor, du 3 octobre 1678.)

L’Église continue à honorer Dieu, en union avec le Christ

L’Église a donc en commun avec le Verbe incarné le but, le devoir et la fonction d’enseigner à tous la vérité, de régir et de gouverner les hommes, d’offrir à Dieu le sacrifice digne et acceptable, et de rétablir ainsi entre le Créateur et les créatures cette union et cette harmonie que l’apôtre des nations désigne clairement par ces paroles : " Vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même est la pierre angulaire. C’est en lui que tout l’édifice bien ordonné s’élève, pour former un temple saint dans le Seigneur ; c’est en lui que, vous aussi, vous êtes édifiés, pour être par l’Esprit-Saint une demeure où Dieu habite " (Ep II, 19-22). Dans sa doctrine, dans son gouvernement, dans le sacrifice et les sacrements que le divin Rédempteur a institués, dans le ministère enfin qu’il lui a confié après avoir ardemment prié et répandu son sang, la société fondée par lui n’a d’autre fin que de croître et de s’étendre toujours plus, ce qui se réalise quand le Christ s’établit et grandit dans les âmes des mortels et quand à leur tour les âmes des mortels croissent et se fortifient dans le Christ ; de la sorte s’amplifie chaque jour davantage dans ce terrestre exil le temple sacré où la divine Majesté reçoit le culte agréable et légitime. Dans toute action liturgique, en même temps que l’Église, son divin Fondateur se trouve présent : le Christ est présent dans le saint sacrifice de l’autel, soit dans la personne de son ministre, soit surtout, sous les espèces eucharistiques ; il est présent dans les sacrements par la vertu qu’il leur infuse pour qu’ils soient des instruments efficaces de sainteté ; il est présent enfin dans les louanges et les prières adressées à Dieu, suivant la parole du Christ : " Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux " (Mt., XVIII, 20). La sainte liturgie est donc le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Église ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son chef et, par lui, au Père éternel : c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres.

Commencements historiques de la sainte liturgie

L’activité liturgique a pris naissance avec la fondation même de l’Église. Les premiers chrétiens, en effet, " étaient assidus aux prédications des apôtres, à la fraction du pain en commun et aux prières " (Ac II, 42). Partout où les pasteurs peuvent réunir le noyau de fidèles, ils dressent un autel sur lequel ils offrent le sacrifice et autour duquel viennent prendre place d’autres rites destinés à la sanctification des hommes et à la glorification de Dieu. Au premier rang de ces rites se trouvent les sacrements, les sept sources principales de salut ; vient ensuite la louange divine assurée par les fidèles qui dans leurs réunions communes obéissent aux exhortations de l’apôtre Paul : " Que vous vous instruisiez et vous avertissiez les uns les autres en toute sagesse ; sous l’inspiration de la grâce, que vos cœurs s’épanchent vers Dieu en chants, par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels " (Col. III, 16) ; puis vient la lecture de la loi des prophètes, de l’Évangile et des Épîtres des apôtres ; enfin l’homélie, ou sermon du président de l’assemblée, qui rappelle et commente avec profit les enseignements du divin Maître et les événements principaux de sa vie, et dont les conseils opportuns et les exemples stimulent tous les assistants.

Son organisation et ses développements

Le culte s’organise et se développe selon les circonstances et les besoins des chrétiens, il s’enrichit de nouveaux rites, de nouvelles cérémonies et de nouvelles formules, toujours dans le but " que nous tirions enseignement de ces signes extérieurs, que nous prenions conscience de nos progrès et que nous nous stimulions fortement à les poursuivre car la valeur du résultat dépendra de la ferveur qui l’aura précédé " (S. Augustin, Epist. 130, ad Probam, 18.). L’âme est ainsi rendue plus attentive à Dieu et le sacerdoce de Jésus-Christ remplit son rôle à travers tous les siècles, puisque aussi bien la liturgie n’est pas autre chose que l’exercice de cette fonction sacerdotale. Comme son divin Chef, l’Église assiste à jamais ses fils, elle les aide et les exhorte à la sainteté afin qu’ils puissent un jour, parés de cette beauté surnaturelle, faire retour au Père qui est dans les cieux. Elle engendre à la vie céleste ceux qui sont nés à la vie terrestre ; dans leur lutte contre l’ennemi implacable, elle leur communique la force du Saint-Esprit ; elle appelle les chrétiens près des autels et, de ses avis et de ses invitations réitérés, elle les pousse à prendre leur part dans la célébration du sacrifice eucharistique ; elle les nourrit du Pain des anges pour qu’ils soient toujours plus forts ; ceux que le péché a blessés et souillés, elle les purifie et elle les console ; ceux qui sont appelés par vocation divine à remplir le ministère sacerdotal, elle les consacre par un rite légal ; elle affermit de ses grâces et de ses dons surnaturels le chaste mariage de ceux qui sont destinés à fonder et constituer une famille chrétienne ; enfin, après avoir réconforté et restauré les dernières heures de leur vie terrestre par son viatique eucharistique et par la sainte onction, elle accompagne pieusement au tombeau les dépouilles de ses fils, elle les y dépose religieusement et les met sous la protection de la croix, afin qu’un jour elles en ressuscitent victorieuses de la mort. A ceux qui se consacrent au service de Dieu pour atteindre la perfection dans la vie religieuse, elle accorde sa bénédiction et de solennelles prières. Elle tend enfin sa main secourable aux âmes qui dans les flammes du purgatoire implorent des prières et des suffrages, afin de les conduire finalement à l’éternel bonheur.

II. LA LITURGIE, CULTE INTÉRIEUR ET EXTÉRIEUR

C’est un culte extérieur

L’ensemble du culte que l’Église rend à Dieu doit être à la fois intérieur et extérieur. Extérieur certes, car tel le requiert la nature de l’homme, composé d’une âme et d’un corps ; car la Providence divine a voulu que " par la connaissance des réalités visibles nous soyons attirés à l’amour des réalités invisibles " (Missale Rom., Praef. Nativ.) ; car tout ce qui vient de l’âme s’exprime naturellement par le moyen des sens ; car ce ne sont pas seulement les individus, mais aussi la collectivité humaine, qui ont besoin de rendre leur culte à Dieu ; celui-ci doit être social ; ce qui est impossible si, dans le domaine religieux lui aussi, il n’existe pas d’assujettissements extérieurs et de manifestations extérieures ; c’est enfin le moyen d’attirer particulièrement l’attention sur l’unité du Corps mystique, d’en accroître le zèle, d’en corroborer les forces et d’en intensifier l’action : " bien que les cérémonies ne contiennent en elles-mêmes aucune perfection, aucune sainteté, elles sont pourtant des actes extérieurs de religion, et par leur signification elles stimulent l’âme à la vénération du sacré, elles élèvent l’esprit aux réalités surnaturelles, nourrissent la piété, fomentent la charité, accroissent la foi, fortifient la dévotion, instruisent les âmes simples, font l’ornement du culte de Dieu, conservent la religion et distinguent les vrais chrétiens des faux et des hétérodoxes " (I. Card. Bona, De divina psalmodia, cap. XIX, § 3, 1.)

Mais il est surtout culte intérieur

Mais l’élément essentiel du culte doit être l’intérieur, car il est nécessaire de vivre toujours dans le Christ, de lui être tout entier dévoué, pour rendre en lui, avec lui et par lui, gloire au Père des cieux. La sainte liturgie requiert que ces deux éléments soient intimement unis, et elle ne se lasse jamais de le répéter chaque fois qu’elle prescrit un acte extérieur de culte. Ainsi, par exemple, elle veut " que ce que nous professons dans nos observances extérieures, s’accomplisse réellement dans notre intérieur " (Missale Rom., Secreta feriae V post Dom. II Quadrag.). Sans quoi, la religion devient assurément un formalisme inconsistant et vide. Vous savez, Vénérables Frères, que le divin Maître juge indignes du temple sacré et n’hésite pas à les en chasser, ceux qui croient honorer Dieu par le seul son de phrases bien construites et par des poses théâtrales, et se persuadent pouvoir assurer parfaitement leur salut éternel sans déraciner de leur âme leurs vices invétérés (cf. Mc VII, 6, et Isaïe, XXIX, 13). L’Église veut donc que tous les fidèles se prosternent aux pieds du Rédempteur pour lui professer leur amour et leur vénération ; elle veut que les foules, à l’exemple des enfants qui, joyeux et chantants, allèrent à la rencontre du Christ le jour de son entrée à Jérusalem, chantent en chœur pour acclamer la gloire du Roi des rois et de l’Auteur souverain de tout bien, et pour lui témoigner leur reconnaissance ; elle veut que de leurs lèvres sortent des prières, tantôt de supplication, tantôt de joie et de louange, afin d’expérimenter, comme les apôtres au bord du lac de Tibériade, l’aide de sa miséricorde et de sa puissance ; ou bien, comme Pierre sur le mont Thabor, pour s’abandonner eux-mêmes et tous leurs biens, au Dieu éternel, dans les mystiques transports de la contemplation.

Exagération de l’élément extérieur

C’est donc avoir une notion tout à fait inexacte de la sainte liturgie que de la regarder comme une partie purement extérieure et sensible du culte divin, ou comme une cérémonie décorative ; ce n’est pas une moindre erreur de la considérer simplement comme l’ensemble des lois et des préceptes par lesquels la hiérarchie ecclésiastique ordonne l’exécution régulière des rites sacrés.

Qu’il soit donc bien entendu de tous qu’on ne peut dignement honorer Dieu si l’âme ne tend pas à la perfection de la vie, et que pour faire parvenir à la sainteté, le culte rendu à Dieu par l’Église en union avec son chef divin possède la plus grande efficacité.

Quand il s’agit du sacrifice de la messe et des sacrements, cette efficacité provient surtout et avant tout de l’action elle-même (ex opere operato). Si l’on considère ensuite l’activité propre de l’épouse sans tache de Jésus-Christ, qui rehausse de ses prières et de ses cérémonies le sacrifice eucharistique et les sacrements, ou s’il s’agit des sacramentaux et des autres rites institués par la hiérarchie ecclésiastique, alors l’efficacité dépend surtout de l’action de l’Église (ex opere operantis Ecclesiae), en tant que sainte et étroitement unie à son Chef dans toute son activité.

Théories nouvelles sur la " piété objective "

A ce propos, Vénérables Frères, Nous voudrions attirer votre attention sur les nouvelles théories touchant ce qu’on appelle la " piété objective " ; tendant à mettre en relief le mystère du Corps mystique, la réalité effective de la grâce sanctifiante et l’action divine des sacrements et de la messe, elles semblent vouloir amoindrir ou même passer sous silence la " piété subjective " ou personnelle.

Dans les cérémonies liturgiques, et en particulier dans le saint sacrifice de l’autel, il est bien vrai que l’œuvre de notre rédemption se continue et que ses fruits nous sont appliqués. Le Christ nous sauve chaque jour dans les sacrements et à la messe ; par eux, il purifie sans cesse et il consacre à Dieu toute l’humanité. Ces actes ont donc une valeur " objective ", qui nous fait vraiment participer à la vie divine de Jésus-Christ. C’est donc de la vertu divine, et non de la nôtre, qu’ils tirent leur efficacité pour unir la piété des membres à celle du Chef et en faire en quelque sorte une action de toute la communauté. Certains concluent de ces profonds arguments que toute la piété chrétienne doit se renfermer dans le mystère du Corps mystique du Christ, sans aucune considération " personnelle " ou " subjective " ; ils estiment donc qu’il faut négliger les autres pratiques de religion non strictement liturgiques et accomplies en dehors du culte public.

Bien que les principes ci-dessus exposés soient excellents, tout le monde remarquera pourtant que ces conclusions sur les deux sortes de piété sont tout à fait fallacieuses, insidieuses et dommageables.

Nécessité de la piété subjective

Il est vrai que les sacrements et le sacrifice de la messe ont une valeur intrinsèque en tant qu’ils sont les actions du Christ lui-même ; c’est lui qui communique la grâce divine de Chef et la diffuse dans les membres du Corps mystique ; mais pour avoir l’efficacité requise, il est absolument nécessaire que les âmes soient bien disposées. Ainsi, à propos de l’Eucharistie, l’apôtre Paul nous dit : " Que chacun s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice " (I Co XI, 28). C’est pourquoi l’Église, en termes expressifs et concis, nomme-t-elle " défense de la milice chrétienne " (Missale Rom., Feria IV Cinerum : orat post imposit. cinerum.) tous les exercices de purification de l’âme, surtout durant le jeûne du carême ; ils représentent, en effet, les efforts actifs des membres qui veulent, avec l’aide de la grâce, adhérer à leur Chef, afin que, dit saint Augustin " la source même de la grâce apparaisse dans notre Chef " (De praedestinatione sanctorum, 31). Mais il faut remarquer que ce sont des membres vivants, doués de raison et de volonté personnelles ; en approchant leurs lèvres de la source, ils doivent donc nécessairement s’emparer vitalement de l’aliment, se l’assimiler et écarter tout ce qui pourrait en empêcher l’efficacité. Il faut donc affirmer que l’œuvre rédemptrice, indépendante en soi de notre volonté, requiert notre effort intérieur pour pouvoir nous conduire au salut éternel.

Nécessité de la méditation et des pratiques de piété

Si la piété privée et intérieure des individus négligeait le saint sacrifice de la messe et les sacrements et se soustrayait à l’influx salvifique qui émane du Chef dans les membres, ce serait évidemment chose blâmable et stérile. Mais lorsque tous les exercices de piété non strictement liturgiques ne visent l’activité humaine que pour la diriger vers le Père des cieux, pour exciter efficacement les hommes à la pénitence et à la crainte de Dieu, pour les arracher à l’attrait du monde et des plaisirs, et réussir à les conduire par un dur chemin au sommet de la sainteté, alors ils ne méritent pas seulement Nos plus grands éloges, mais ils s’imposent par une absolue nécessité, car ils démasquent les écueils de la vie spirituelle, ils nous poussent à l’acquisition des vertus et ils augmentent l’ardeur avec laquelle nous devons nous consacrer entièrement au service de Jésus-Christ. La piété authentique, que le docteur angélique appelle " dévotion " et qui est l’acte principal de la vertu de religion - acte qui met les hommes dans l’ordre, les oriente vers Dieu et les fait s’adonner librement à tous les exercices du culte divin (Cf. s. Thomas. Summa Theol., IIa IIae. q. 82, a. 1.) cette piété authentique a besoin de la méditation des réalités surnaturelles et des pratiques de piété pour s’alimenter, s’enflammer, s’épanouir et nous pousser à la perfection. Car une juste conception de la religion chrétienne réclame qu’avant tout la volonté soit consacrée à Dieu et qu’elle exerce son influence sur les autres facultés de l’âme. Mais tout acte de volonté présuppose l’exercice de l’intelligence, et avant même que naissent le désir et le projet de se consacrer à Dieu dans le sacrifice de soi-même, il est nécessaire de connaître les raisons et les motifs qui commandent la religion, comme la fin dernière de l’homme et la grandeur de la majesté divine, le devoir de se soumettre au Créateur, les inépuisables trésors de l’amour dont Dieu a voulu nous enrichir, la nécessité de la grâce pour atteindre le but assigné, et la voie spéciale que la divine Providence a voulue pour nous, en nous unissant tous à Jésus-Christ notre Chef, comme les membres d’un corps. Et parce que les motifs de l’amour n’ont pas toujours de prise sur notre âme agitée par les mauvaises passions, il est fort opportun que la considération de la justice divine nous impressionne salutairement pour nous amener à l’humilité chrétienne, à la pénitence et à l’amendement.

Fruits concrets d’une vraie piété

Toutes ces considérations ne doivent pas être un vain rappel, mais tendre activement à soumettre nos sens et leurs facultés à la raison illuminée par la foi, à purifier notre âme pour l’unir chaque jour plus intimement au Christ, nous conformer toujours plus à lui et puiser en lui l’inspiration et la force divine dont elle a besoin, à être des stimulants toujours plus efficaces au bien, à la fidélité au devoir d’état, à la pratique de la religion, à l’exercice fervent de la vertu : " Vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu " (cf. I Co III, 23). Que tout soit donc bien ordonné et " théocentrique ", si nous voulons vraiment que tout soit dirigé à la gloire de Dieu par la vie et la vertu qui nous viennent de notre divin Chef : " Ainsi donc, Frères, puisque nous avons, par le sang de Jésus, un libre accès dans le sanctuaire, par la voie nouvelle et vivante qu’il a inaugurée pour nous à travers le voile, c’est-à-dire à travers sa chair, et puisque nous avons un Grand Prêtre établi sur la maison de Dieu, approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, le cœur purifié des souillures d’une mauvaise conscience, et le corps lavé dans une eau pure. Restons inébranlablement attachés à la profession de notre espérance… Ayons l’œil ouvert les uns sur les autres pour nous exciter à la charité et aux bonnes œuvres " (He X, 19-24).

Harmonie et équilibre entre les membres du Corps mystique

De là résulte un harmonieux équilibre entre les membres du Corps mystique de Jésus-Christ. En nous enseignant la foi catholique, en nous exhortant à l’observation des commandements, l’Église prépare la route à son action proprement sacerdotale et sanctifiante ; elle nous dispose à une contemplation plus intime de la vie du divin Rédempteur et nous conduit à une connaissance plus profonde des mystères de la foi, pour que nous y puisions une nourriture surnaturelle dont la force nous permette, avec l’aide du Christ, de progresser sûrement vers la perfection. Par ses ministres d’abord, mais aussi par ses simples fidèles remplis de l’Esprit de Jésus-Christ, l’Église cherche à faire pénétrer cet esprit dans toute la vie privée, conjugale, sociale et même économique et politique, afin que tous ceux qui portent le nom d’enfants de Dieu puissent plus facilement atteindre leur fin.

Cette activité privée des chrétiens et l’effort ascétique destiné à purifier l’âme stimulent l’énergie des fidèles et les disposent à participer dans de meilleures dispositions au saint sacrifice de la messe, à recevoir les sacrements avec plus de fruit, à célébrer les rites sacrés de façon à en sortir plus généreux et plus forts pour la prière et l’abnégation chrétienne, à répondre activement aux inspirations de la grâce prévenante et à imiter chaque jour davantage les vertus de notre Rédempteur ; ils ne seront pas les seuls à en profiter, mais avec eux tout le corps de l’Église, dans lequel tout le bien qui se fait dérive de la vertu du Chef et sert finalement au bien de tous les membres.

Accord entre l’action divine et la coopération humaine

Il ne peut donc y avoir dans la vie spirituelle, aucune opposition ou contradiction entre l’action divine, qui infuse la grâce dans les âmes pour continuer notre rédemption, et l’active coopération de l’homme qui ne doit pas rendre vaine la grâce de Dieu (cf. II Co VI, 1) ; entre l’efficacité du rite extérieur des sacrements, qui provient de leur valeur intrinsèque ex opere operato et le mérite de celui qui les administre ou les reçoit ex opere operantis ; entre les prières privées et les prières publiques ; entre la morale et la contemplation ; entre la vie ascétique et la piété liturgique ; entre la juridiction et le magistère légitime de la hiérarchie ecclésiastique, d’une part, et le pouvoir sacerdotal proprement dit, qui s’exerce dans le saint ministère, d’autre part.

Pour de graves motifs, l’Église prescrit aux ministres de l’autel et aux religieux de s’adonner, aux temps marqués, à la méditation, à l’examen et amendement de la conscience, et aux autres exercices spirituels (C.I.C., can. 125, 126, 565, 571, 595, 1367.), parce que destinés d’une manière particulière à remplir les fonctions liturgiques de la messe et de la louange divine. Sans doute la prière liturgique, du fait qu’elle est la prière publique de l’épouse de Jésus-Christ, a une dignité supérieure à celle des prières privées ; mais cette supériorité ne veut nullement dire qu’il y ait, entre ces deux sortes de prières, contradiction ou opposition. Inspirées par un seul et même esprit, elles tendent, ensemble et d’accord, au même but, jusqu’à ce que le Christ soit formé en nous (cf. Gal., IV, 19), et devienne " tout en tous " (Col., III, 11).

III. LA LITURGIE EST RÉGLÉE PAR LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE

La nature de l’Église exige une hiérarchie…

Pour mieux comprendre ce qu’est la sainte liturgie, il faut encore considérer un autre de ses caractères, qui n’est pas de moindre importance.

L’Église est une société et, comme telle, elle requiert une autorité et une hiérarchie propres. Si tous les membres du Corps mystique participent aux mêmes biens et tendent aux mêmes fins, tous ne jouissent pas pourtant du même pouvoir ni ne sont habilités pour accomplir les mêmes actes. Le divin Rédempteur, en effet, a voulu constituer son royaume et l’appuyer sur des fondements stables selon l’ordre sacré, qui est une sorte d’image de la hiérarchie céleste.

Aux seuls apôtres et à ceux qui, après eux, ont reçu de leurs successeurs l’imposition des mains, a été conféré le pouvoir sacerdotal, en vertu duquel ils représentent leur peuple devant Dieu de la même manière qu’ils représentent devant leur peuple la personne de Jésus-Christ. Ce sacerdoce ne leur est pas transmis par hérédité ni par descendance humaine ; il n’émane pas non plus de la communauté chrétienne et il n’est pas une délégation du peuple. Avant de représenter le peuple auprès de Dieu, le prêtre est l’envoyé du divin Rédempteur, et parce que Jésus-Christ est la Tête de ce Corps dont les chrétiens sont les membres, il représente Dieu auprès du peuple dont il a la charge. Le pouvoir qui lui est confié n’a donc, de sa nature, rien d’humain ; il est surnaturel et il vient de Dieu : " Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie… (Jn, XX, 21) ; celui qui vous écoute m’écoute… (Lc X, 16) ; allez dans le monde entier et prêchez l’Évangile à toute créature : celui qui croira et sera baptisé sera sauvé " (Mc XVI, 15-16).

… et donc un sacerdoce extérieur, visible…

C’est pourquoi le sacerdoce extérieur et visible de Jésus-Christ ne se transmet pas dans l’Église d’une manière universelle, générale ou indéterminée : il est conféré à des hommes choisis et constitue une sorte de génération spirituelle que réalise l’un des sept sacrements, l’ordre ; celui-ci ne donne pas seulement une grâce particulière propre à cet état et à cette fonction, mais encore un " caractère " indélébile, qui configure les ministres sacrés à Jésus-Christ Prêtre et qui les rend aptes à exercer légitimement les actes de religion ordonnés à la sanctification des hommes et à la glorification de Dieu, suivant les exigences de l’économie surnaturelle.

… consacré par le sacrement de l’ordre

En effet, de même que le bain baptismal distingue tous les chrétiens et les sépare de ceux que l’eau sainte n’a point purifiés et qui ne sont point membres du Christ, de même le sacrement de l’ordre range les prêtres à part des autres fidèles du Christ qui n’ont point reçu ce don, car eux seuls, répondant à l’appel d’une sorte d’instinct surnaturel, ont accédé à l’auguste ministère qui les consacre au service des autels et fait d’eux les divins instruments par lesquels la vie céleste et surnaturelle est communiquée au Corps mystique de Jésus-Christ. Et, en outre, comme Nous l’avons dit plus haut, eux seuls sont marqués du caractère indélébile qui les fait " conformes " au Christ Prêtre ; d’eux seuls les mains ont été consacrées, " afin que tout ce qu’ils béniraient soit béni, et tout ce qu’ils consacreraient soit consacré et sanctifié au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ " (Pontif. Rom., De ordinatione presbyteri, in manuum unctione.). Qu’à eux donc recourent tous ceux qui veulent vivre dans le Christ, car c’est d’eux qu’ils recevront le réconfort et l’aliment de la vie spirituelle ; d’eux ils recevront le remède du salut, grâce auquel, guéris et fortifiés, ils pourront échapper au désastre où mènent les vices ; par eux, enfin, leur vie commune familiale sera bénie et consacrée, et leur dernier souffle en cette vie mortelle deviendra l’entrée dans la béatitude éternelle.

La liturgie dépend de l’autorité ecclésiastique

a. Par sa nature même

Puisque la liturgie sacrée est accomplie au premier chef par les prêtres au nom de l’Église, son ordonnancement, sa réglementation et sa forme ne peuvent pas ne pas dépendre de l’autorité de l’Église. Ce principe, qui découle de la nature même du culte chrétien, est confirmé par les documents de l’histoire.

b. Par ses relations étroites avec le dogme

Ce droit indiscutable de la hiérarchie ecclésiastique est corroboré encore par le fait que la liturgie sacrée est en connexion intime avec les principes doctrinaux qui sont enseignés par l’Église comme points de vérité certaine, et par le fait qu’elle doit être mise en conformité avec les préceptes de la foi catholique édictés par le magistère suprême pour assurer l’intégrité de la religion révélée de Dieu.

A ce sujet, Nous avons jugé devoir mettre en exacte lumière ceci, que vous n’ignorez sans doute point, Vénérables Frères : à savoir, l’erreur de ceux qui ont considéré la liturgie comme une sorte d’expérience des vérités à retenir comme de foi ; de façon que si une doctrine avait produit, par le moyen des rites liturgiques, des fruits de piété et de sanctification, l’Église l’approuverait, et qu’elle la réprouverait dans le cas contraire. D’où proviendrait l’axiome : Lex orandi, lex credendi ; " la règle de la prière est la règle de la croyance ".

Mais ce n’est point cela qu’enseigne, ce n’est point cela que prescrit l’Église. Le culte qui est rendu par elle au Dieu très saint est, comme le dit de façon expressive saint Augustin, une profession continue de foi catholique et un exercice d’espérance et de charité : Fide, spe, caritate colendum Deum, affirme-t-il. (Enchiridion. cap. 3.) Dans la liturgie sacrée, nous professons la foi catholique expressément et ouvertement, non seulement par la célébration des mystères, l’accomplissement du sacrifice, l’administration des sacrements, mais aussi en récitant ou chantant le " Symbole " de la foi, qui est comme la marque distinctive des chrétiens, et de même en lisant les autres textes, et surtout les Saintes Écritures inspirées par l’Esprit-Saint. Toute la liturgie donc contient la foi catholique, en tant qu’elle atteste publiquement la foi de l’Église.

C’est pourquoi, chaque fois qu’il s’est agi de définir une vérité divinement révélée, les souverains pontifes et les conciles, lorsqu’ils puisaient aux " sources théologiques ", tirèrent maint argument de cette discipline sacrée ; tel, par exemple, Notre prédécesseur d’immortelle mémoire Pie IX, lorsqu’il décréta l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. Et de même l’Église et les saints Pères, lorsqu’ils discutaient de quelque vérité douteuse et controversée, ne négligeaient pas de demander des éclaircissements aux vénérables rites transmis depuis l’antiquité, de là vient l’axiome connu et respectable : Legem credendi lex statuat supplicandi, " que la règle de la prière fixe la règle de la croyance " (De gratia Dei " Indiculus "). Ainsi, la sainte liturgie ne désigne et n’établit point la foi catholique absolument et par sa propre autorité, mais plutôt, étant une profession des vérités célestes soumises au suprême magistère de l’Église, elle peut fournir des arguments et des témoignages de grande valeur pour décider d’un point particulier de la doctrine chrétienne. Que si l’on veut discerner et déterminer d’une façon absolue et générale les rapports entre la foi et la liturgie, on peut dire à juste titre : Lex credendi legem statuat supplicandi, " que la règle de la croyance fixe la règle de la prière ". Et il faut parler de même quand il s’agit des autres vertus théologales : In… fide, spe, caritate continuato desiderio semper oramus, " nous, prions toujours et avec une ardeur continue, dans la foi, l’espérance et la charité " (S. Augustin, Epist. 130, ad Probam, 18.).

IV. PROGRÈS ET DÉVELOPPEMENT DE LA LITURGIE

De tout temps, la hiérarchie ecclésiastique a usé de ce droit sur les choses de la liturgie ; elle a organisé et réglé le culte divin, rehaussant son éclat de dignité et de splendeurs nouvelles, pour la gloire de Dieu et le profit spirituel des chrétiens. Et, de plus, elle n’a pas hésité - tout en sauvegardant l’intégrité substantielle du sacrifice eucharistique et des sacrements - à modifier ce qu’elle jugeait n’être pas parfaitement convenable et à ajouter ce qui lui paraissait plus apte à accroître l’honneur rendu à Jésus-Christ et à l’auguste Trinité, et à instruire et stimuler le peuple chrétien de façon plus bienfaisante. (cf. Const. Divini cultus, du 20 décembre 1928.)

Éléments divins et éléments humains de la liturgie

En effet, la sainte liturgie est formée d’éléments humains et d’éléments divins ; ceux-ci, évidemment, ayant été établis par le divin Rédempteur, ne peuvent en aucune façon être changés par les hommes ; les premiers, au contraire, peuvent subir des modifications diverses, selon que les nécessités des temps, des choses et des âmes les demandent, et que la hiérarchie ecclésiastique, forte de l’aide de l’Esprit-Saint, les aura approuvées. De là vient l’admirable variété des rites orientaux et occidentaux ; de là l’accroissement progressif par lequel des coutumes cultuelles et des œuvres de piété particulières se développent peu à peu, alors qu’on n’en trouvait qu’un faible indice dans les âges antérieurs ; et de là vient aussi parfois que telles pieuses institutions, que le temps avait effacées, soient de nouveau remises en usage. Toutes ces transformations attestent la vie permanente de l’Église à travers tant de siècles ; elles expriment le langage sacré qui, au cours des temps, s’est échangé entre elle et son divin Époux, pour dire sa foi et celle des peuples à elle confiés, et son amour inépuisable ; et elles montrent la sage pédagogie par laquelle elle excite et augmente de jour en jour dans les croyants " le sens du Christ ".

Développement de certains éléments humains

Il y eut, certes, bien des causes au progrès et au développement de la liturgie sacrée tout au long de la glorieuse vie de l’Église.

a. Dû à une formulation doctrinale plus précise

Ainsi, par exemple, tandis que la doctrine catholique du Verbe de Dieu incarné, du sacrement et du sacrifice de l’Eucharistie, de la Vierge Marie Mère de Dieu, était déterminée de façon plus certaine et plus exacte, de nouvelles formes rituelles furent introduites, par lesquelles la lumière qui avait jailli plus éclatante des déclarations du magistère ecclésiastique se trouva répétée et comme reflétée de façon plus plénière et plus juste dans les actions liturgiques, et put atteindre avec plus de facilité l’esprit et le cœur du peuple chrétien.

b. Dû à des modifications disciplinaires

Ensuite le progrès de la discipline ecclésiastique dans l’administration des sacrements, par exemple du sacrement de pénitence, et l’institution puis la suppression du catéchuménat et encore la communion eucharistique sous une seule espèce adoptée dans l’Église latine, furent autant de causes qui, certainement, contribuèrent à la transformation de l’ancien rite au cours des temps et à l’introduction lente d’un rite nouveau, qui parut plus en accord avec les réglementations par là impliquées.

c. Dû aussi à des pratiques de piété extra-liturgiques

A ce progrès et à cette transformation contribuèrent beaucoup des initiatives de piété et des œuvres qui ne sont point en liaison intime avec la liturgie sacrée et qui, nées dans les époques suivantes par un admirable dessein de Dieu, prirent parmi le peuple une si grande importance : tel, par exemple, le culte accru et chaque jour plus attentif envers la divine Eucharistie, et de même envers les cruelles souffrances de notre Rédempteur, envers le Sacré-Cœur de Jésus, la Vierge Mère de Dieu et son très chaste Époux.

A ces effets eurent part aussi, au gré des circonstances, les pèlerinages publics de piété au tombeau des martyrs, les jeûnes de dévotion, enfin les prières stationales qui se célébraient en esprit de pénitence dans la sainte cité et auxquelles prenait part souvent le Souverain Pontife lui-même.

d. Dû encore au développement des beaux-arts

Et il est facile de comprendre que le développement des beaux-arts, surtout de l’architecture, de la peinture et de la musique, influa considérablement sur la détermination et les formes variées que reçurent les éléments extérieurs de la liturgie sacrée.

L’Église a usé de ce même droit sur les choses liturgiques pour défendre la sainteté du culte divin contre les abus introduits avec témérité et imprudence par des personnes privées et des Églises particulières. Et c’est ainsi que, au XVIe siècle, les usages et coutumes de ce genre s’étant accrus à l’excès, et les initiatives privées en ces matières menaçant l’intégrité de la foi et de la piété pour le plus grand profit des hérétiques et de la propagation de leurs erreurs, Notre prédécesseur d’immortelle mémoire Sixte-Quint établit en l’année 1588 la Sacrée Congrégation des Rites, afin de défendre les rites légitimes de l’Église et d’en écarter tout ce qui aurait été introduit d’impur (Const. Immensa, du 22 janvier 1588), à cette institution, de nos jours encore, il appartient, de par la fonction qui lui est dévolue, d’ordonner et décréter tout ce qui concerne la liturgie sacrée (C. I. C., can. 253).

V. CE PROGRÈS NE PEUT ÊTRE ABANDONNÉ A L’ARBITRAIRE DES PERSONNES PRIVÉES

C’est pourquoi au seul Souverain Pontife appartient le droit de reconnaître et établir tout usage concernant le culte divin, d’introduire et approuver de nouveaux rites, de modifier ceux mêmes qu’il aurait jugés immuables (cf. C. I. C., can. 1257) ; le droit et le devoir des évêques est de veiller diligemment à l’exacte observation des préceptes des saints canons sur le culte divin (cf. C. I. C. can. 1261). Il n’est donc pas permis de laisser à l’arbitraire des personnes privées, fussent-elles de l’ordre du clergé, les choses saintes et vénérables qui touchent la vie religieuse de la société chrétienne, et de même l’exercice du sacerdoce de Jésus-Christ et le culte divin, l’honneur qui doit être rendu à la très sainte Trinité, au Verbe incarné, à son auguste Mère, et aux autres habitants du ciel, et le salut des hommes. Pour cette raison, aucune personne privée n’a le pouvoir de réglementer les actions extérieures de cette espèce, qui sont au plus haut point liées avec la discipline ecclésiastique et avec l’ordre, l’unité et la concorde du Corps mystique, et qui, plus est, fréquemment avec l’intégrité de la foi catholique elle-même.

Quelques abus téméraires

L’Église, sans doute, est un organisme vivant, donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine. Néanmoins, il faut réprouver l’audace tout à fait téméraire de ceux qui, de propos délibéré, introduisent de nouvelles coutumes liturgiques ou font revivre des rites périmés, en désaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. Or, Nous avons appris avec grande douleur, Vénérables Frères, que cela se produisait, et en des choses, non seulement de faible, mais aussi de très grave importance ; il en est, en effet, qui dans la célébration de l’auguste sacrifice eucharistique, se servent de la langue vulgaire, qui transfèrent à d’autres époques des jours de fête - lesquels avaient été décrétés et établis après mûre délibération - qui enfin suppriment des livres de la prière publique approuvés par l’Église les textes sacrés de l’Ancien Testament, parce qu’ils les jugent insuffisamment adaptés à notre temps et inopportuns.

L’emploi de la langue latine, en usage dans une grande partie de l’Église, est un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection efficace contre toute corruption de la doctrine originale. Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être très profitable au peuple : mais c’est au seul Siège apostolique qu’il appartient de le concéder ; et sans son avis et son approbation, il est absolument interdit de rien faire en ce genre, car, comme Nous l’avons dit, la réglementation de la sainte liturgie dépend entièrement de son appréciation et de sa volonté.

Attachement exagéré aux rites anciens

Il faut juger de même des efforts de certains pour remettre en usage d’anciens rites et cérémonies. Sans doute, la liturgie de l’antiquité est-elle digne de vénération ; pourtant, un usage ancien ne doit pas être considéré, à raison de son seul parfum d’antiquité, comme plus convenable et meilleur, soit en lui-même, soit quant à ses effets et aux conditions nouvelles des temps et des choses. Les rites liturgiques plus récents eux aussi, sont dignes d’être honorés et observés, puisqu’ils sont nés sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, qui assiste l’Église à toutes les époques jusqu’à la consommation des siècles (cf. Mt, XXVIII, 20) ; et ils font partie du trésor dont se sert l’insigne Épouse du Christ pour provoquer et procurer la sainteté des hommes.

Revenir par l’esprit et le cœur aux sources de la liturgie sacrée est chose certes sage et louable, car l’étude de cette discipline, en remontant à ses origines, est d’une utilité considérable pour pénétrer avec plus de profondeur et de soin la signification des jours de fêtes, le sens des formules en usage et des cérémonies sacrées ; mais il n’est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l’antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des églises les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la croix de telle façon que n’apparaissent point les souffrances aiguës qu’il a endurées, de répudier et rejeter enfin les chants polyphoniques ou à plusieurs voix, même s’ils se conforment aux normes données par le Siège apostolique.

Archéologisme excessif

De même, en effet, qu’aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l’Église, sous l’inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, avec grand profit pour les âmes ; et qu’aucun catholique sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux prescriptions des sources anciennes du Droit canonique, de même, quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste.

Une telle façon de penser et d’agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu’excitait le concile illégitime de Pistoie, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l’origine de ce faux concile et qui en résultèrent, pour le grand dommage des âmes, erreurs que l’Église, gardienne toujours vigilante du " dépôt de la foi " à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit (cf. Pie VI, Const. Auctorem fidei, du 28 août 1794, nn. XXXI-XXXIV, XXXIX, LXII, LXVI, LXIX-LXXIV.). Car des desseins et des initiatives de ce genre tendent à ôter toute force et toute efficacité à l’action sanctificatrice, par laquelle la liturgie sacrée oriente, pour leur salut, vers le Père céleste les fils de l’adoption.

Que tout se fasse donc de telle façon que soit sauvegardée l’union avec la hiérarchie ecclésiastique. Que personne ne s’arroge la liberté de se donner à soi-même des règles, et de les imposer aux autres de son propre chef. Seul le Souverain Pontife, comme successeur du bienheureux Pierre à qui le divin Rédempteur a confié le soin de paître le troupeau universel (Jn XXI, 15-17), et avec lui les évêques, que " l’Esprit-Saint a placés… pour régir l’Église de Dieu " (Act XX, 28) sous la conduite du Siège apostolique, ont le droit et le devoir de gouverner le peuple chrétien. C’est pourquoi, Vénérables Frères, chaque fois que vous défendez votre autorité - et avec une sévérité salutaire s’il le faut - non seulement vous remplissez la fonction de votre charge, mais vous faites respecter la volonté même du Fondateur de l’Église.